Il y a un siècle et demi, en 1864 très exactement, le gouvernement Français de l’Ă©poque commettait ce qui restera probablement comme sa plus grossière erreur: la reconnaissance du droit de grève! Enfin, soyons positifs, cette boulette n’a pas que des mauvais cĂ´tĂ©. En effet, si cette erreur n’avait pas Ă©tĂ© commise, ce serait un pan entier de notre culture qui n’aurait jamais vu le jour, puisque la grève semble ĂŞtre devenu le sport national, avant mĂŞme le football ou le rugby!
Grèvons, grèvons, qu’un monde injuste, etc.
Ah, Germinal, ses noirs terrils, ses baraquements de brique et ses mineurs crasseux qui crachent le charbon qu’ils respirent toute la journĂ©e! Ah, Germinal, sa classe ouvrière fustigĂ©e, ses hommes et ses femmes exploitĂ©s jusqu’Ă la mort, sa lutte hĂ©roĂŻque du mineur opprimĂ© contre le bourgeois mĂ©prisant! Ah, Germinal, son Ă©popĂ©e sociale qui nous arrache des larmes de dĂ©tresse et d’espoir, cette exaltation du militantisme et de la grève! Une grève vĂ©ritable, vitale et justifiĂ©e! Une grève idĂ©ale, en quelque sorte. Bien loin de ce qu’elle est devenue aujourd’hui.
Alors que les mineurs de cette fin du XIXème siècle se rĂ©voltaient contre la menace constante des coups de grisous, des Ă©pidĂ©mies, de l’exploitation ou de la famine, les grĂ©vistes d’aujourd’hui protestent contre un flĂ©au autrement plus diabolique. Imaginez un peu! Les pauvres travailleurs doivent survivre tout en sachant que leur voisin gagne trois euros de plus qu’eux! Comment tenir le coup quand on sait que la personne qui vit Ă cĂ´tĂ© de nous ramènera dans son caddie hebdomadaire un sachet de chips Ă la tomate supplĂ©mentaire? Insurmontable!
Vous l’aurez compris, les revendications des grĂ©vistes ont gĂ©nĂ©ralement tendance Ă me briser les noix. Bien sĂ»r, je peux comprendre certaines grèves, j’imagine bien que se faire jeter Ă la porte par l’usine qui nous emploie depuis plus de vingt ans doit faire un drĂ´le d’effet. Mais il y a quand mĂŞme des limites. La France reste l’un des pays oĂą les travailleurs sont les mieux protĂ©gĂ©s, on bĂ©nĂ©ficie de toute une tripotĂ©e d’allocations, d’aides diverses, de protections sociales et salariales, le SMIG est vingt fois supĂ©rieur au revenu moyen d’un travailleur chinois, mais on continue Ă râler? Comme on dit, pour le mouton, l’herbe est toujours plus verte dans la prairie d’Ă cĂ´tĂ©. Et la France est un putain de pays de moutons oĂą l’on bĂŞle pour un oui ou pour un non.
D’ailleurs, en France, il n’est pas rare d’entendre dire que les dirigeants laissent le pouvoir leur monter Ă la tĂŞte et qu’ils l’utilisent Ă leurs fins personnelles avec Ă©goĂŻsme et mĂ©pris. Cependant, est-il nĂ©cessaire de rappeler que la France est une dĂ©mocratie, et que le pouvoir appartient donc… au peuple? CQFD.
Vous serez pendus en place de grève!
Historiquement, le mot grève viendrait de la place de Grève, Ă Paris, vaste zone portuaire oĂą les sans-emplois pouvaient facilement trouver un petit travail. Mais c’Ă©tait aussi l’endroit oĂą se tenaient les exĂ©cutions et les supplices publiques. Et pour ĂŞtre honnĂŞte, c’est cette seconde vision qui me semble plus proche de ce qu’est devenu la grève. Les manifestants d’aujourd’hui prennent le fouet et le dirigent Ă©goĂŻstement contre les travailleurs honnĂŞtes qui ne demandent rien d’autre que de pouvoir se rendre au travail sans encombre, pour mĂ©riter (eux) le salaire qu’on leur verse Ă la fin du mois.
Mais ces travailleurs normaux doivent endurer le harcèlement de cette horde de zombis dĂ©cĂ©rĂ©brĂ©s qui scande une sinistre litanie oĂą le mot argent semble magnifiĂ©, tel un vĂ©ritable dieu qui dĂ©tient seul les portes du paradis. Ces hommes et ces femmes innocents sont alors pris en otage et utilisĂ©s comme de simples objets pour faire pression sur les dĂ©cideurs. Je suis persuadĂ© qu’en prenant le temps de se plonger dans les dĂ©cisions des tribunaux, on tomberait sur des condamnations pour harcèlement ou sĂ©questration liĂ©s Ă des faits moins graves que toutes ces grèves.
Et puis, il y a tellement d’autres moyens de se faire entendre, ou en tout cas de le faire en Ă©vitant d’impliquer la moitiĂ© du pays! Mais non. La finesse et le discernement ne semblent pas ĂŞtre la qualitĂ© première du syndicaliste de base. Emmerder le monde, c’est tellement plus amusant. Et puis ça fait parler de la manifestation, c’est une bonne chose, et en plus on ne risque pas une entorse au cerveau en essayant d’aligner trois idĂ©es pour Ă©tablir un stratĂ©gie plus subtile!
BĂŞĂŞĂŞĂŞĂŞĂŞĂŞĂŞ !
Bref, la façon dont certaines grèves se dĂ©roulent aujourd’hui et les revendications qui les motivent ont parfois tendance Ă m’Ă©cĹ“urer profondĂ©ment. Tendez-leur la main, il vous arracheront le bras. Et ils continueront Ă vous attirer Ă eux jusqu’Ă ce que vous y passiez tout entier.
Notez malgrĂ© tout que je ne jette pas la pierre Ă tous les grĂ©vistes. Certains se rĂ©voltent parce qu’ils manquent rĂ©ellement de quelque chose, qu’ils sont Ă juste titre convaincus de leur combat et veillent Ă impliquer le moins de monde dans leur manifestations. Ceux-lĂ sont Ă mon sens de vrais citoyens. D’autres en revanche agissent par pure cupiditĂ©, en cherchant Ă impliquer un maximum de personnes et Ă paralyser la moitiĂ© du pays. Ceux-lĂ sont de simples andouilles et feraient bien de retourner mariner dans leur sauce dĂ©jĂ trop richement assaisonnĂ©e au vu de leurs mĂ©prisables petites personnes. Amen.